« C’est le 11 février 1907, à 3 heures du soir que 11 Sœurs […] sortaient de la chère maison, le cœur brisé, les yeux pleins de larmes, laissant tout en ordre dans toutes les parties du couvent ; et même le dîner du soir était préparé : on n’avait qu’à prendre notre place » (annales de la communauté de Bangkok, archives des Sœurs de l’EJNB, 5 M 2-1 (p. 309)).
Les Sœurs de l’EJNB (Dames de Saint-Maur) sont actuellement présentes en Thaïlande. Arrivées dans ce pays en 1885, elles ont été contraintes de le quitter en 1907, et ne sont finalement revenues que 50 ans plus tard. Les raisons de ce départ sont expliquées dans les annales de la communauté de Bangkok, et permettent de découvrir les difficultés rencontrées par les religieuses en Thaïlande.
Dès le XVIIe siècle, les « filles pieuses » réunies par le Père Barré sont appelées au Siam. Louis XIV souhaite qu’elles partent avec une expédition, qui est finalement annulée. La première venue des Dames de Saint-Maur en Thaïlande est une réponse à l’appel de Mgr Jean-Louis Vey (1840-1909), prêtre des Missions étrangères de Paris et vicaire apostolique du Siam. Ce dernier voit la présence des religieuses en Malaisie et à Singapour, dès 1852, comme un atout pour la mission de Thaïlande. En 1884, Mgr Vey écrit à Sœur Saint Gaëtan Gervais, supérieure de la mission de Singapour : « je vois des avantages immenses à prendre l’ordre que vous avez. Ces Dames sont acclimatées et habituées aux langues et usages » (archives des Sœurs de l’EJNB, 5 M 2-1).
L’Institut s’installe en Thaïlande en 1885, sous l’autorité des Missions étrangères de Paris. Un pensionnat et un orphelinat sont ouverts dans les bâtiments mis à leur disposition par les prêtres de cette congrégation, près de l’église du Calvaire. Si ce lieu, à proximité du fleuve Chao Phraya (aussi appelé Menam), leur paraît d’abord adapté au développement de leur mission, le délabrement rapide des constructions et leur exiguïté deviennent très vite une source de problèmes. Le terrain s’affaisse, menaçant le pensionnat, l’orphelinat et les dépendances de s’effondrer. Les travaux, à la charge des religieuses, sont un gouffre financier qui les entraîne à négliger l’éducation des enfants. En 1896, ce sont 106 élèves, répartis en 4 classes, qui sont victimes de ces conditions matérielles.
Plan des bâtiments situés près de l'église du Calvaire (archives des Sœurs de l'EJNB, 5 M 2-1)
Une ancienne élève, mariée au ministre du commerce et de l’agriculture, et général des armées du roi de Siam, Phya Sarasak, présente la communauté à son époux. Admiratif de l’œuvre des Sœurs en matière d’éducation, et désireux de les aider, il leur donne un terrain de plus de 14 000 m², à Windmill Road, près de Bangkok, où il projette de construire une école capable d’accueillir au moins 500 élèves. Il engage un architecte et tente de trouver des moyens de financer le futur bâtiment.
Pour autant, ce généreux don devient rapidement la source de nouvelles difficultés. « Oui, vraiment on s’était trompé en s’installant si loin de la ville », lit-on dans les annales de la communauté. La donation tarde à être régularisée, tandis que l’emplacement du bâtiment, plus éloigné du centre de Bangkok, est désapprouvé par l’évêque. La correspondance entre Mgr Vey et la supérieure générale permet d’apprendre que la supérieure de la mission, Mère Sainte Hélène, a souhaité construire un bâtiment plus grand que prévu. La communauté contracte des dettes pour payer cet ouvrage, et sa construction tarde à être terminée, pour ne finalement pas être achevée. Les Sœurs, victimes du manque d’eau potable et du choléra, ne sont pas assez nombreuses pour assurer l’éducation des enfants de Windmill Road et des orphelins restés dans un des bâtiments « du Calvaire ».
Photographie du bâtiment de Windmill Road (fin du XIXe siècle, archives des Sœurs de l'EJNB, 5 M 2-1)
La question du départ des religieuses est soulevée dès 1900 par la supérieure générale. Mgr Vey souligne cependant qu’un départ précipité nuirait à la réputation de la congrégation. Les Sœurs poursuivent alors leurs activités avec zèle jusqu’en 1907. En octobre 1906, la visite canonique de la communauté entérine la décision de partir. Les Sœurs de Saint-Paul de Chartres, présentes depuis 1905 à Bangkok, succèdent aux Dames de Saint-Maur. Ce sont 11 religieuses qui quittent la mission de Thaïlande, et partent fonder une communauté à Ipoh, en Malaisie. L’histoire de la congrégation dans ce pays ne s’arrête pourtant pas là. En 1957, 6 Sœurs reviennent à Bangkok, et fondent une communauté encore active de nos jours.
Un document : le récit du départ de la Thaïlande dans les annales de la communauté de Bangkok (1907, 5 M 2-1)
Article rédigé par Emilie Papaix, archiviste des Soeurs de l'Enfant Jésus - Nicolas Barré