Les espoirs d’évangélisation au Mandchoukouo. Les sœurs de l’EJNB à Moukden dans une période cruciale de l’histoire sino-japonaise (1936-1946)


Situé au carrefour entre la Chine, la Russie et le Japon, le large territoire de la Mandchourie suscite tensions et convoitises dès la fin du XIXe siècle. Le Japon prend le contrôle du territoire en 1931 et y instaure l’année suivante un État fantoche, le Mandchoukouo, avec à sa tête l’empereur Puyi. L’Empire nippon envoie un million de Japonais pour le coloniser, y développe une industrie et des infrastructures modernes, tout en gardant le contrôle sur son gouvernement. La Mandchourie se transforme en un territoire multiculturel, au brassage ethnique et religieux que les missions chrétiennes ont investi, notamment par des œuvres hospitalières, éducatives et sociales, auxquelles participent les sœurs de l’EJNB.


Carte de l'Asie de l'est (sans date, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)

L’appel vers Moukden

Dans cette dynamique de présence chrétienne en Mandchourie, les sœurs sont appelées en 1932 par le Père Patrouilleau des Missions Étrangères de Paris, qui était en charge d’une paroisse japonaise à Moukden (actuelle ville de Shenyang, en Chine). La supérieure générale, Mère Sainte Marguerite-Marie Delbecq, ne donne pas suite à cet appel, les missions étant déjà tournées vers la fondation de la communauté de Fukuoka.


L’appel est renouvelé en 1935, appuyé par Monseigneur Blois, vicaire apostolique de Moukden, qui l’appuie en proposant la mise à disposition d’une maison. D’anciennes élèves japonaises des sœurs, installées à Moukden, les enjoignent à ouvrir des écoles, qui y sont rares.

La Mère supérieure se laisse convaincre et permet la fondation d’une communauté sur place. Pour une telle mission, cinq sœurs sont envoyées depuis la province du Japon, avec pour supérieure Mère Saint Aidan Fitzgerald.

 


 
Mère Saint Aidan Fitzgerald (vers 1936-1945, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)

Des débuts très difficiles

Les conditions de vie à Moukden sont difficiles, la population est très pauvre et le climat est rude. Les sœurs arrivent sans avoir le minimum nécessaire à l’ouverture d’une école et elles manquent de tout. Elles parviennent à se faire envoyer des meubles par l’évêché et font quelques travaux pour limiter l’insalubrité des lieux touchés par une très forte humidité.

En attendant les fonds et autorisations pour faire construire des bâtiments, elles donnent quelques cours qui n’accueillent que peu d’élèves. Deux nouvelles sœurs arrivent à la fin de l’année pour consolider la communauté.

 



Première page des annales de Moukden
sur l'arrivée de la communauté (1936, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)

En avril 1937, les sœurs peuvent ouvrir une école maternelle, qui accueille 45 enfants. L’école déménage en septembre dans un nouveau bâtiment, avec une église, qui reçoit une cinquantaine d’enfants. Les sœurs ouvrent également un orphelinat. Elles se consacrent également à la catéchèse des jeunes adultes et font plusieurs baptêmes et conversions chez les enfants et adultes.

Lettre en japonais relative à l'autorisation de la congrégation à Moukden (1937, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)


Le développement de la mission

Le nombre de fidèles augmente et les sœurs ont la charge d’un nombre d’élèves croissant. Lors de la rentrée en septembre 1938, elles accueillent une soixantaine d’élèves en maternelle et donnent des cours particuliers, notamment Sœur Sainte Philomène Kinoshita qui est chargée du catéchisme aux jeunes filles et adultes. Des enseignantes japonaises s’ajoutent à l’équipe. La supérieure du Japon, Mère Sainte Thérèse Hennecart, visite la communauté à plusieurs reprises. Les sœurs sont soutenues par le Père Patrouilleau, elles entretiennent des relations avec les autres religieux présents à Moukden et s’entre-aident mutuellement avec les autres congrégations religieuses féminines. Mère Saint Aidan, très dévouée et prompte à aider tous ceux dans le besoin, était une figure respectée parmi les Occidentaux de Moukden.


La communauté de Moukden en 1938 (1938, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)

L'essor de la communauté

Alors que la guerre commence en 1939, la communauté de Moukden connaît une certain essor. Dès 1939, les sœurs débutent ensemble l’apprentissage du mandarin, indispensable pour mieux communiquer avec la population. Elles font des baptêmes et communions, notamment pour Pâques, en espérant qu’une conversion individuelle entraîne celle de toute une famille. Elles reçoivent en mai la visite de la Supérieure générale, Mère Sainte Berthe Bourgoing. L’école maternelle compte 75 élèves à la rentrée 1940 et une centaine à la rentrée suivante, et les sœurs obtiennent des conversions et baptêmes. Les sœurs étant aussi présentes dans les hôpitaux, où elles cherchaient à convertir les malades et mourants. En 1943, ce sont 65 élèves qui sortent diplômés de l’école maternelle.



Communauté de Moukden lors de la visite de Mère Sainte Berthe Bourgoing (1939, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)


La Mandchourie en guerre

En 1944, les effets de la guerre se font durement ressentir à Moukden. Dès juillet 1944, les alertes aériennes sont fréquentes et les sœurs doivent parfois se réfugier avec leurs affaires dans un abri creusé dans le jardin. Les sœurs ouvrent l’école pour la rentrée 1945 mais rapidement la Mandchourie est envahie de toutes parts par l’URSS, les Américains et Britanniques, et par la Chine. Moukden est bombardée à plusieurs reprises en décembre. Les sœurs durent vider et abandonner la maison. La ville est envahie et pillée à plusieurs reprises par les différents belligérants, laissant la maison inhabitable. Les sœurs vivent de plus en plus dans la pauvreté et la privation. Une épidémie de typhus se déclare à l’hiver 1945, qui emporte le Père Patrouilleau, Sœur Emilia et Mère Aidan.

Couvent de Moukden (vers 1937-1946, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)

Le départ des missionnaires

La défaite du Japon et l’occupation de la Mandchourie par les Soviétiques rendit les missionnaires européens de plus en plus indésirables et victimes de persécutions. En 1946, le Conseil général décide de rapatrier les sœurs de Moukden au Japon, au grand désarroi de la communauté. Les sœurs revendent la maison et son mobilier et quittent définitivement Moukden le 15 octobre. Elles arrivent à Fukuoka le 21 octobre, au milieu de 3000 rapatriés japonais. Elles repartent pour Tokyo où elles arrivent le 31 octobre. Plusieurs sœurs se font examiner à l’hôpital et apprennent leurs nouvelles obédiences. Elles restent quasiment toutes dans des communautés au Japon (Fukuoka, Tokyo ou Yokohama), fermant ainsi la parenthèse de Moukden.


Extrait d'une lettre et nécrologie sur les sœurs de Moukden (1946, archives des sœurs de l'EJNB, 4M10/1)



Pour en savoir plus...

Bibliographie et sitographie

Asialyst. "Vie et mort du Mandchoukouo" (1932-1945). 2016. [https://asialyst.com/fr/2016/07/25/vie-et-mort-du-mandchoukouo-1932-1945/]
Duteil Jean-Pierre. "Les chrétiens en Chine de 1800 à 1950". Clio, 2021.
Herodote.net. "18 septembre 1931 Les Japonais à la conquête de la Mandchourie". 2022. [https://www.herodote.net/18_septembre_1931-evenement-19310918.php]
Nippon.com. "Le Mandchoukouo, état fantoche du Japon impérial : « l’harmonie ethnique » comme étendard". 2023. [https://www.nippon.com/fr/japan-topics/d00815/?pnum=3]



Article rédigé par Anaëlle Herrewyn, archiviste des sœurs de l'Enfant Jésus - Nicolas Barré