Officier de l’Ordre de l’Empire Britannique : Mère Saint Tarcisius Salles (1875-1964), une vie au service de l’éducation en Malaisie


Mère Saint Tarcisius Salles (1875-1964) a donné sa vie à la Malaisie. Elle entre dans l’Institut en 1895 et part dès 1904 en Malaisie, où elle est rapidement nommée à des postes de responsabilité à Kuala Lumpur puis à Penang. Supérieure de Malaisie pendant trente ans, elle se consacre à l’éducation des jeunes filles et engage l’expansion et la modernisation de la mission malaise.

Jeunesse de Mère Tarcisius

Françoise Marie Salles naît le 5 novembre 1875 à Bordes, en Haute-Garonne. Elle est issue d’une famille de laboureurs et cultivateurs locaux. Son père, Antoine Salles, est veuf d’une première union. Il se remarie en 1868 avec une femme de 33 ans sa cadette, Marceline Navarre, la fille d’un laboureur de la ville. Quatre enfants naissent de cette union : Jean Marie Joseph, né en 1869, Marie Jacquette, née en 1870, Lucie Bertrande, née en 1873, et Françoise Marie, née en 1875.
Benjamine de sa fratrie, Françoise est éduquée avec ses sœurs dans l’école de la ville. Elle perd sa sœur Marie Jacquette en 1887. Alors qu’elle accompagne sa sœur à Toulouse, un ecclésiastique apprend qu’elle souhaite entrer au couvent et lui propose de la présenter aux Feuillants, tenu par les sœurs de l’EJNB. Elle intègre les Feuillants pour préparer son brevet, puis comme postulante en 1895, suivie de sa sœur Lucie en 1896.

Jeune missionnaire en Malaisie

Françoise prend l’habit en 1896. Elle devient une sœur de chœur et reçoit le nom de Sœur Saint Tarcisse (ou Tharcisse) qui se normalise ensuite en Saint Tarcisius. Elle fait son noviciat à la maison-mère de Paris, prononce ses premiers vœux en 1899 et elle est envoyée à Marseillan jusqu’en 1901. Elle manifeste dès cette période le souhait de partir en Mission, qu’elle considère comme un sacrifice dont elle n’est pas encore digne. Elle part ensuite à Montagnac jusqu’à la fermeture de la communauté en 1904, consécutivement aux lois de laïcisation. L’avenir de la congrégation apparaît alors comme incertain face aux nombreuses fermetures d’établissements. Après ses vœux perpétuels en 1904, Sœur Saint Tarcisius, âgée de 29 ans, est choisie avec sa sœur Lucie, devenue Sœur Saint Marcelin, pour devenir missionnaire. Elles partent ensemble le 23 septembre 1904 vers Penang où elles arrivent deux mois plus tard.


Couvent de Penang (sans date, archives des sœurs de l'EJNB, n°227)


Lorsque les sœurs Salles arrivent à Penang, la congrégation s’est implantée dans la région du Malaya et fonde de nouvelles communautés, à Malacca (1875), Kuala Lumpur (1899), Taiping (1899) et ouvre plusieurs annexes pour répondre aux besoins d’éducation et de soins aux enfants. À Penang, Sœur Saint Tarcisius est en charge des pensionnaires. Elle dut manifester des qualités qui ont justifié sa nomination en 1911, à seulement 36 ans, comme supérieure de Kuala Lumpur.


Couvent de Kuala Lumpur (sans date, archives des sœurs de l'EJNB, n°228)

 

Supérieure de Kuala Lumpur

Mère Saint Tarcisius succède à Mère Saint Augustin Guiraud, décédée subitement lors d’un voyage. Cette nouvelle charge s’assortit de nombreuses responsabilités. Elle est notamment chargée de la construction d’un nouveau couvent, achevé à la fin de l’année 1912. Elle initie et mène à bien entre 1914 et 1920 plusieurs travaux de construction pour agrandir l’orphelinat, la chapelle et les dortoirs. En 1921, Seremban est incorporé à Kuala Lumpur, tandis qu’une école ouvre à Klang en 1924. Mère Tarcisius fête en 1924 les 25 ans de la fondation de Kuala Lumpur et son jubilé lors d’une journée de festivités. Cette même année, Mère Tarcisius quitte Kuala Lumpur : elle est appelée à devenir supérieure de Malaisie.

Les soeurs de choeur de la communauté de Kuala Lumpur, avec Mère Tarcisius au centre (années 1920, archives des sœurs de l'EJNB, n°228)


Supérieure visitatrice de Malaisie

Mère Tarcisius assume la double mission d’être supérieure de Penang et supérieure régionale et visitatrice de Malaisie. Alors que Penang fête en 1927 ses 75 ans, Mère Tarcisius ouvre une période de prospérité pour la mission de Malaisie. En tant que supérieure visitatrice, Mère Tarcisius administrait toutes les communautés de Malaisie (y compris Singapour) où elle se rendait plusieurs fois par an, lui permettant également de revoir sa sœur, Mère Saint Marcelin, ancienne supérieure de Seremban devenue en 1920 supérieure d’Ipoh.
Elle est amenée à se rendre en France par deux fois, en 1931 et 1937 pour le chapitre général, où elle présente les résultats de la mission de Malaisie.

 



Adresse d'anciennes élèves à Mère Tarcisius, sur tissu de soie, pour les 75 ans de la fondation de Penang (1927, archives des sœurs de l'EJNB, n°81)

Mère Tarcisius était en relation avec les autorités coloniales britanniques qui appréciaient le faible coût de leurs établissements à vocation éducative et sociale. Outre les écoles et pensionnats, les sœurs tenaient des orphelinats et des bébéages (crèches), et étaient présentes dans des hôpitaux auprès des malades. Le nombre d’orphelins, des enfants souvent plus abandonnés que réellement sans parents, augmentait d’année en année. Mère Tarcisius conduisit notamment une modernisation du bébéage, exigée par le gouvernement malais face au manque de conditions d’hygiène modernes, qui entraînait une surmortalité chez les enfants.

 
Orphelins de Penang (1926, archives des sœurs de l'EJNB, n°227)


S'adapter en toutes circonstances

Les missions étaient très nombreuses et s’adapter aux réalités sociales et ethniques était indispensable.

Pour répondre au nombre grandissant d’enfants, lié à l’influence britannique grandissante dans les terres, Mère Tarcisius ouvre entre 1924 et 1945 une dizaine d’annexes (Alor Star, Bukit Mertajam, Balik Pulau, Cameron, etc), parfois dans des lieux reculés et pauvres, où les filles étaient très peu éduquées.
Les cours étaient tous payants, mais des solutions pouvaient être trouvées pour aider les familles les plus pauvres à les financer.

 



Etat des établissements de la mission de Malaisie (1934, archives des sœurs de l'EJNB, 2M15/3)

Mère Tarcisius ouvre des écoles européennes, chinoises et indiennes, et bien que l’anglais soit obligatoire, elle encourageait l’usage du chinois et du tamoul dans les quelques écoles dédiées à ces ethnies. Elle renforce l’enseignement domestique et des sciences commerciales. Des enseignantes laïques sont embauchées pour pallier le manque de sœurs de chœur. Mère Saint Tarcisius était attachée au respect des différentes cultures et croyances de leurs élèves, cette adaptation étant nécessaire à la poursuite de leur mission, qui ne leur laissait que peu de possibilités d’évangélisation.

Coupe-papier de Mère Tarcisius (sans date, archives des sœurs de l'EJNB, n°252)


Une détermination à l'épreuve des crises

Son travail acharné depuis 32 ans en Malaisie lui valut la reconnaissance de l’Empire britannique. Elle est décorée en 1936 Officier de l’Ordre de l’Empire Britannique, remise par le gouverneur des Straits Settlements, Sir Thomas Shenton, lors d’une cérémonie au couvent de Penang.

Cependant, la charge de travail et la mauvaise santé de Mère Tarcisius la contraignent à demander en 1937 au Conseil général d’être déchargée du supériorat de Penang, où elle continue de résider comme supérieure régionale.

 



Mère Tarcisius au bras de Sir Thomas Shenton, lors de la cérémonie de remise de sa médaille (1936, archives des sœurs de l'EJNB, n°100)

Médaille d'officier de l'Ordre de l'Empire Britannique de Mère Tarcisius (1936, archives des soeurs de l'EJNB, n°100)


Suite à l’attaque de Pearl Harbor, la Malaisie est occupée par les Japonais de 1941 jusqu’en 1945. Plusieurs établissements sont réquisitionnés, les enseignements sont limités et le japonais obligatoire, et certaines communautés souffrent des pénuries et de la présence de l’occupant. Mère Tarcisius reprend le supériorat de Kuala Lumpur de 1943 à 1945, tout en cherchant comme supérieure régionale à protéger les sœurs et les enfants des sévices de la guerre.



La fin des responsabilités

Après la guerre, Mère Tarcisius reste supérieure de Malaisie jusqu’en 1954, et elle redevient supérieure de Penang pendant une année, de 1953 à 1954. Fatiguée par la lourdeur de la charge qu’elle occupe depuis trente ans, elle demande au Conseil d’en être relevée. 30 000 enfants et jeunes filles, répartis dans 32 établissements, auraient été sous sa responsabilité durant ses mandats successifs. Elle cesse ses fonctions en 1954, redevenant une « simple » religieuse. Elle accepte avec tristesse de quitter Penang lorsque la maison provinciale est fondée en 1962 à Cheras, dans la banlieue de Kuala Lumpur.

Maison provinciale et noviciat de Cheras (1962, archives des sœurs de l'EJNB, 2M7/1)

Âgée et souffrante, elle consacre ses deux dernières années à la prière. Elle décède le 9 octobre 1964 à l’âge de 89 ans.

Une foule d’élèves et de religieux vint lui rendre hommage à ses funérailles, témoignage de l’affection et du respect qu’elle a suscité au cours de sa vie.

 



Image-souvenir du décès de Mère Tarcisius (1964, archives des sœurs de l'EJNB, 2M11/2)


Pour en savoir plus...

Bibliographie et sitographie

Chen Yen Ling. Lessons from my School: The Journey of the French Nuns and their Convent Schools. Kulim, IJ Enterprises Sdn. 2019.
Chen Yen Ling. Convents of the Saint Maur Sisters. A Nostalgic Road in the East. Kulim, IJ Enterprises Sdn. 2024.
Decruz Tina. « Tarcisius, Rev Mother St (Francoise Salles) ». DCBASIA [https://dcbasia.org/biography/tarcisius-rev-mother-st-francoise-salles]



Article rédigé par Anaëlle Herrewyn, archiviste des sœurs de l'Enfant Jésus - Nicolas Barré