Mère Sainte Ludgarde Nourrit (1856-1931). Une missionnaire entre le Japon et Singapour


Mère Sainte Ludgarde Nourrit (1856-1931) est souvent associée à Mère Sainte Mathilde Raclot, dont elle a été l’assistante et la successeure à Yokohama. Enseignante puis supérieure de communauté en province, elle rêve de devenir missionnaire. Son souhaite se réalise en 1897 ; elle passe alors plus de 25 années de sa vie au Japon et à Singapour, où elle sert avec dévouement et accède à des hautes fonctions.

Jeunesse et entrée dans l'Institut

Marie Élisabeth Nourrit naît le 21 septembre 1856 à Beaucaire, dans le Gard. Sa famille est originaire de la région. Elle appartient à la petite ou moyenne bourgeoisie locale de par la profession de son père, qui est médecin. Elle a trois frères et soeurs. Sa jeunesse est très peu connue. Elle entre comme élève chez les dames de Saint-Maur à Nîmes où se dessine probablement sa vocation puisqu’elle entre dans l’Institut comme postulante, puis comme novice en 1879. Dès cette période, la jeune Élisabeth Nourrit aurait ressenti le désir de devenir missionnaire. Elle prend l’habit en 1880 et devient Sœur Sainte Ludgarde, et elle fait sa première profession l’année suivante.


Premières années dans l'Institut

Âgée de 25 ans, Sœur Sainte Ludgarde part en 1881 pour sa première communauté à Montdidier, dans la Somme. Elle retourne en 1887 dans le sud pour intégrer la communauté de Toulouse.


Maison de Montdidier (vers 1900, archives des soeurs de l'EJNB, 1M36/1)


En 1895, à l’âge de 39 ans, elle est choisie par la Supérieure Générale pour devenir la nouvelle supérieure de la communauté d’Armentières, dans le Nord. Bien que la Supérieure générale manifeste sa confiance envers Mère Ludgarde pour cette mission, cette dernière a toujours le souhait ardent de devenir missionnaire. Elle n’attend que peu de temps : en juin 1897, elle est choisie pour partir au Japon et devenir l’assistante de la supérieure, Mère Sainte Mathilde Raclot.


Pensionnat d'Armentières (sans date, archives des soeurs de l'EJNB, n°414)

 

L'assistante de Mère Mathilde

Mère Sainte Mathilde Raclot est depuis 1876 la supérieure du Japon. Très âgée, elle peine à poursuivre cette lourde tâche et sollicite une assistante auprès de la Supérieure Générale. C’est Mère Ludgarde qui est choisie et elle quitte en 1897 sa charge de supérieure d’Armentières.

Elle embarque avec neuf autres soeurs à bord du Melbourne pour une traversée en bateau de plusieurs semaines. Elles arrivent à Singapour et y restent quelques jours, avant que les soeurs destinées au Japon ne repartent vers leur destination.

 



Liste des sœurs participant au 24e voyage vers les
missions d'Asie (1897, archives des sœurs de l'EJNB, 4M8/2)

Mère Ludgarde assiste Mère Mathilde dans ses fonctions et prend la charge de l’économat. Elle poursuit l’apprentissage de l’anglais et débute celui du japonais, persuadée de l’importance d’apprendre la langue locale. Mère Ludgarde s’inquiétait de la santé déclinante de Mère Mathilde, et elle semble s’être beaucoup investie dans sa mission auprès d’elle.

Communauté de Yokohama (vers 1900, archives des soeurs de l'EJNB, n°465)


La première supérieure de Shizuoka

Mère Mathilde souhaitait fonder une troisième communauté au Japon. Elle espérait que la congrégation s’implante à Nagoya, mais les autorités locales ne se montrèrent pas favorables à ce projet, qui est dévié à Shizuoka. Mère Mathilde puis Mère Ludgarde travaillent en collaboration avec le père Pierre Rey des Missions Étrangères de Paris pour permettre l’ouverture d’une communauté. Le père Rey joue un rôle essentiel d’intermédiaire avec les autorités de Shizuoka et participe activement à l’avancement du projet, auquel Mère Ludgarde contribue dès qu’elle apprend sa nomination comme supérieure. Mère Ludgarde et les soeurs partent fonder la communauté en 1903, où elles ouvrent une école, qui est agrandie et réaménagée les années suivantes.

École de Shizuoka (avant 1945, archives des soeurs de l'EJNB, n°226)


De Yokohama à Singapour

En 1907, Mère Ludgarde retourne à Yokohama pour prendre la suite de Mère Mathilde en tant que supérieure de la communauté. Ces années sont très peu connues, mais il semble que Mère Ludgarde se soit placée dans la continuité de Mère Mathilde. La mission japonaise se développe et se concentre davantage sur les missions éducatives : les soeurs ont en 1910 un pensionnat européen, deux écoles de filles, un ouvroir, un orphelinat et un dispensaire.

En 1917, alors que Mère Ludgarde est âgée de 61 ans, elle est appelée pour devenir supérieure de la mission de Singapour, la précédente supérieure étant décédée l’année précédente, quittant le Japon après vingt ans de mission. Mère Ludgarde y assume pleinement son rôle de supérieure, en étant présente aux cérémonies, elle se rendait dans les établissements de la mission, accompagnait les soeurs dans leurs déplacements, se rendait en Malaisie et était une figure d’autorité pour la communauté. La mission de Singapour comptait en 1919 des écoles avec environ 700 enfants et 200 dans l’orphelinat, sans compter les bébés. Elle est supérieure de la mission lorsque Georges Clemenceau vient faire une visite le 22 octobre 1920, et une réception est organisée en son honneur.

Communauté de Singapour en 1922, lors de la visite de la Supérieure Générale (1922, archives des soeurs de l'EJNB, n°409)


Les dernières années

Mère Sainte Ludgarde rentre définitivement en France en 1923, après 26 années passées en Asie. Des problèmes de santé l’obligent à quitter les missions, à grand regret. Elle est envoyée dans le sud, à la communauté marseillaise de La Rose, où elle se voit confier la direction de la procure et de la pension de famille de la communauté.

Son état de santé se dégrade particulièrement en 1931, et elle décède le 28 mars 1931, à l’âge de 75 ans.

 



Nécrologie de Mère Ludgarde dans l'Écho de
Notre-Dame de la Garde (1931, archives des soeurs de l'EJNB, 1M32/1)

 

Loin de n’être que l’ombre de Mère Mathilde, Mère Ludgarde sut tracer son propre chemin comme soeur de l’Enfant Jésus. Elle a réalisé son souhait de devenir missionnaire et a contribué à l’épanouissement de la congrégation au crépuscule du siècle du renouveau missionnaire. Partie en mission, elle y a assumé plusieurs hautes fonctions, qui lui ont offert des possibilités rares pour une femme de son époque. Sa correspondance, lacunaire sur de nombreuses années, révèle sa personnalité et ses sentiments, ainsi que leurs évolutions et leurs constances. Mère Ludgarde se révèle et apparaît sous les traits d’une femme enthousiaste, zélée, soucieuse de ses consœurs, ferme dans certaines de ses idées, aimant les missions et toute abandonnée à la volonté divine.


Mère Sainte Ludgarde Nourrit (sans date, archives des soeurs de l'EJNB, n°421)




Pour en savoir plus...

Cet article est la version abrégée de l'exposition virtuelle du même nom.



Article rédigé par Anaëlle Herrewyn, archiviste des Sœurs de l'Enfant Jésus - Nicolas Barré