Quand Georges Clemenceau visitait les Dames de Saint-Maur



Le 18 janvier 1920, Georges Clemenceau se retire définitivement de la vie politique. Sans mandat, le Tigre décide d’entreprendre un voyage de plaisance de sept mois en Asie pour satisfaire son envie de voyager comme sa curiosité envers le monde asiatique et plus particulièrement chinois. Celui qui a renoncé aux fonctions officielles ne circule pourtant pas comme un simple particulier et reçoit de nombreux honneurs lors de sa virée asiatique. Georges Clemenceau séjourne en Malaisie pendant plusieurs jours et gratifie les sœurs de l’Enfant-Jésus d’une visite dans leurs établissements à Singapour puis à Penang.

Les visites protocolaires

La Malaisie et Singapour sont les premières terres de mission des soeurs de l’Institut, où elles se sont implantées entre 1851 et 1854, à la demande des Missions Étrangères de Paris (MEP). Dans les années 1920, les soeurs sont durablement implantées en Malaisie et ont des établissements à Penang, Singapour, Malacca, Kuala Lumpur, Seremban, Taiping et Ipoh. Elles recueillent des orphelines, élèvent des jeunes enfants, accueillent de nombreuses élèves et pensionnaires Européennes, Malaises et Chinoises dans leurs établissements qui sont pour certains renommés.

La venue d’une personnalité était toujours un événement exceptionnel qui rompait avec le quotidien, même si les communautés, en France comme dans les Missions, étaient accoutumées à recevoir de telles visites. En effet, la supérieure générale et les mères conseillères se déplaçaient régulièrement pour visiter les communautés. Les soeurs recevaient souvent des visites de représentants ecclésiastiques, de bienfaiteurs, de membres de la noblesse locale, ou de familles princières ou royales, comme les Grimaldi à Monaco, ou des princes malais et siamois en Malaisie. Elles pouvaient également recevoir des visites d’hommes d’État comme le maréchal Joffre, qui a visité la communauté de Tokyo au cours d’un voyage diplomatique au Japon entre 1921 et 1922.

Visite du Maréchal Joffre à la communauté de Tokyo (1922, archives des sœurs de l'EJNB, 4M7/2)


Clemenceau à Singapour

Clemenceau fait une première escale à Ceylan (actuel Sri Lanka) avant de débarquer à Singapour le 17 octobre 1920. Il est traité pendant son séjour comme un homme d’État et pour commémorer sa venue, une avenue est baptisée de son nom. Il est reçu au couvent des sœurs le 22 octobre. Deux proches l'accompagnent pendant son voyage, Georges Turpault et Nicolas Pietri. Le consul de France et de prêtres des MEP l'accompagnent également lors de sa visite au couvent. Bien qu’il soit athée, Clemenceau admettait que les missionnaires concourraient à la bonne réputation de la France hors de ses frontières.


Visite de Clemenceau à la communauté de Singapour (1920, archives des sœurs de l'EJNB, 2M22/3)


Une réception est prévue en son honneur et la grande salle du couvent est décorée pour l’occasion. Une petite présentation se tint dans le stage-room, avec un « welcome drill », un chant en français et une pensionnaire lut une adresse en français à Clemenceau, qui y répondit élégamment. Ce dernier s’adressa à la supérieure de Singapour, Mère Sainte Ludgarde Nourrit, puis aux sœurs et pères travaillant pour la France. Après une photographie de groupe en extérieur, Clemenceau est emmené dans la galerie du pensionnat sous les acclamations des enfants. Il repart dans son automobile en adressant à Mère Ludgarde un mot de remerciement.


Carte de visite de Georges Clemenceau avec un mot de remerciement adressé à Mère Ludgarde (1920, archives des sœurs de l'EJNB, 2M22/3)


Clemenceau à Penang

Si la venue de Clemenceau à Singapour est bien connue, le reste de son voyage est inégalement documenté. Après Singapour, il poursuit son voyage en Malaisie et devait arriver à Penang le 23 novembre. Il modifia son itinéraire, manqua de ne pas s’arrêter à Penang, pour finalement s’y rendre avec plusieurs jours d’avance. Bien qu’il ne soit pas en mesure de s’attarder au couvent, il manifesta son souhait de maintenir cette visite.


Visite de Clemenceau au couvent de Penang (1920, archives des sœurs de l'EJNB, 2M15/5)


La salle de réception des sœurs est décorée et aménagée avec des gradins pour permettre aux quelques 900 enfants de voir l’ancien chef d’État. Une petite réception est organisée sur le même modèle que celle de Singapour, avec un « welcome drill », un chant en français et une adresse en français par une élève européenne. Il répondit à l’adresse en vantant les mérites des soeurs missionnaires et en rappelant aux enfants leurs devoirs envers elles pour l’éducation qu’ils reçoivent.
Clemenceau s’adressa à la supérieure de Penang, Mère Sainte Herminie Labordenave, et la questionna sur les œuvres de l’Institut. Il réitéra ses compliments envers l’Institut en saluant Mère Herminie lors de son départ.

Visite de Clemenceau au couvent de Penang (1920, archives des sœurs de l'EJNB, 2M15/5)



Ces visites, pourtant succinctes, ont marqué les communautés de Singapour et Penang qui en conservent des photographies et en narrent avec détail les préparatifs et le déroulement. La venue de Georges Clemenceau chez les sœurs témoigne de leur réputation comme d’un maintien des liens entre la France et ses missionnaires, alors que le pays penche toujours plus vers la laïcité.



Pour en savoir plus...

Bibliographie et sitographie

Duroselle, Jean-Baptiste. Clemenceau. Paris, Fayard, 1988.
Séguéla, Matthieu. « Georges Clemenceau à Singapour ». Ambassade de France à Singapour, 2007. 



Article rédigé par Anaëlle Herrewyn, archiviste des sœurs de l'Enfant Jésus - Nicolas Barré