1er septembre 1923. Les sœurs de l’EJNB et le séisme du Kanto au Japon

Il y a 101 ans, le 1er septembre 1923 à 11h58, la région japonaise du Kanto a connu un des tremblements de terre les plus destructeurs et meurtriers depuis la fin du XIXe siècle. Aux secousses estimées à la magnitude 7,9 suivent des répliques et des incendies dévastateurs. Tokyo est détruite à près de 70 % et Yokohama à 85 %. Dans toute la région du Kanto, on compte au moins 91 000 morts, 50 000 blessés, 13 000 disparus et 3,4 millions de bâtiments qui ont été soit détruits, soit endommagés. Les survivants vivent dans des conditions très précaires. Présentes depuis 51 ans dans l’archipel, les sœurs de l’EJNB étaient implantées à Tokyo, Yokohama et Shizuoka, où elles se chargeaient notamment d’orphelins et de l’éducation de jeunes filles. C’est à Tokyo et Yokohama que les sœurs sont les plus touchées par cette catastrophe sans précédent.

Le lourd tribut de la communauté de Yokohama

Les sœurs de Yokohama terminaient de célébrer l’office lorsque le tremblement de terre survint. Plusieurs récits et lettres de sœurs décrivent la soudaineté et la violence du séisme.

« Yokosuka et Yokohama disparurent au premier choc ; suivant les endroits, l’intensité du choc fut épouvantable, spécialement sur le front de mer. En certains lieux, le sol crevassé s’ouvrait se refermait, à la façon d’un accordéon » (récit d'une soeur anonyme, archives de la communauté de Yokohama, 1923, 4M8/3)

« J'étais là depuis trois minutes environ lorsque j’entendis un grand bruit […]. La maison s’était effondrée en trente secondes car les secousses étaient à la fois verticales et horizontales. Quel spectacle s’offrit à mes regards pendant que je gisais au milieu de débris de toutes sortes » (lettre de soeur Saint-Denis, archives de la communauté de Yokohama, 1923, 4M8/3)

« Je n’ai pas les mots pour vous dire les horreurs dans lesquelles nous vivons […] La maison entière n’est plus qu’une ruine qui brûle encore » (lettre de mère Sainte-Louise Champagnole à la supérieure générale, 1923, 4M8/3)

Plusieurs sœurs et enfants parvinrent à s’échapper lorsque les premières secousses se firent ressentir, mais d’autres se retrouvèrent coincées sous les décombres. Les pères marianistes aidèrent les sœurs et les enfants à sortir des décombres et à déblayer. Lorsque des incendies se déclarent vers quinze heures, les autorités japonaises firent évacuer les lieux. Dix sœurs de la mission de Yokohama, quatorze Japonais (domestiques et enfants) ainsi que six pensionnaires européennes sont décédés. Les sœurs se réfugient dans des jardins où elles installent un abri et s’occupent des enfants avec les moyens à disposition.

Ruines du couvent de Yokohama (1923, archives des soeurs de l'EJNB, 4M8/3)

Le pensionnat européen, l’orphelinat et l’école japonaise sont détruits. Les communications sont coupées. Le 2 septembre, les sœurs japonaises et les enfants sont envoyées à Akobara, une maison de campagne proche de Yokohama. Les onze sœurs européennes embarquent sur un bateau français avec d’autres réfugiés et quittent Yokohama le 12 septembre. Elles débarquèrent à Kobe puis prirent le train pour trouver asile dans la communauté de Shizuoka, épargnée par la catastrophe.

Orphelins de Yokohama devant les tombes des victimes du séisme (sans date, archives des soeurs de l'EJNB, 421)

Des dégâts plus limités à Tokyo

La communauté de Tokyo a également été impactée par le séisme et les incendies. De nouvelles secousses sont ressenties dans les jours suivants, des incendies se déclarent, l’eau manque et les Coréens sont victimes de violences : « c’était la frayeur universelle ! » narrent les annales de la communauté. Face à la progression des incendies, les soeurs doivent évacuer le couvent. Elles se réfugient avec des soeurs de Saint-Paul de Chartres et d’autres chrétiens dans la paroisse de Notre- Dame-de-Lourdes.

Carte des zones proches du couvent de Tokyo (vers 1923, archives des soeurs de l'EJNB, 4M7/2)

Les soeurs sont autorisées à retourner dans leur couvent quelques jours plus tard. Elles craignent les incendiaires et les vols. Une solidarité entre chrétiens s’organise. La chapelle des soeurs est complètement détruite, et le couvent et plusieurs chambres ont été endommagés. Aucune soeur n’a péri dans la catastrophe, mais les soeurs y perdirent des professeurs, des amis et des élèves.

Reconstruire


Extrait d'un article de presse avec la photographie de la supérieure générale entourée de la communauté de Tokyo et des rescapées de Yokohama (vers 1923, archives des soeurs de l'EJNB, 4M7/2)

La presse française relaie la catastrophe, qui suscite l’émoi dans les milieux catholiques et dans la congrégation, notamment au sujet des dix soeurs qui ont péri à Yokohama. Les très nombreux clichés témoignent de l’ampleur des destructions et du souhait de les documenter. Tout est à reconstruire à Yokohama et la communauté est durablement marquée par cet événement. Les soeurs voient dans cette catastrophe la volonté divine qu’elles doivent accepter et surmonter.

À Yokohama, les soeurs sont logées dans des bâtiments provisoires et exigus. Le 7 janvier 1924, les élèves retournent à l’école jusqu’à fin mars, tandis qu’un nouvel orphelinat est en cours de construction à Ogikubo, dans la banlieue de Tokyo.

Orphelinat d'Ogikubo (sans date, archives des soeurs de l'EJNB, 225)

Travaux pour la reconstruction du couvent de Yokohama (vers 1923-1929, archives des soeurs de l'EJNB, 225)


Les cours de primaire reprennent pour une nouvelle année scolaire en avril 1924. L’école japonaise est reconstruite en 1925, avec une chapelle provisoire, tandis que l’école européenne se faisait toujours dans des locaux temporaires. Ce n’est que le 15 novembre 1929 que les nouveaux bâtiments, notamment la nouvelle école, la Kaiko-Shiki, ont été inaugurés et ce en présence de dignitaires japonais. La nouvelle chapelle est bénite le 3 janvier 1930 par l’archevêque de Tokyo.

À Tokyo, les dégâts limités permirent aux soeurs d’assurer la rentrée des écoles à la fin du mois de septembre. La communauté de Tokyo parvint à reprendre assez rapidement une vie normale. Toutefois, les nombreuses secousses qui ont lieu dans les semaines suivant le séisme ravivent les peurs. La communauté de Tokyo prit également en charge une partie des orphelines de Yokohama. La chapelle est reconstruite et bénite à l’automne 1926.

Panneau en hommage aux dix soeurs de Yokohama décédées lors du séisme (sans date, archives des soeurs de l'EJNB)

Les communautés de Tokyo et Yokohama parvinrent à se relever de cette catastrophe. Les années 1930 sont une nouvelle période de prospérité pour la mission japonaise qui ouvre de nouveaux établissements et s’implante à Nagasaki et en Mandchourie. Cette accalmie est de courte durée : les soeurs durent de nouveau affronter conflits et destructions lors de la Seconde guerre mondiale.


Pour en savoir plus...

Sitographie

IRFA. « 1er septembre 1923, le tremblement de terre du Kanto ». 2022. [https://irfa.paris/1er-septembre-1923-le-tremblement-de-terre-du-kanto/]
L’Histoire. « 1er septembre 1923, qui tremble à Tokyo ? ». 2023. [https://www.lhistoire.fr/1er-septembre-1923-qui-tremble-à-tokyo%C2%A0]
Nippon.com. « Le Grand tremblement de terre du Kantô, le monstre qui a dévasté Tokyo et
Yokohama ». 2019. [https://www.nippon.com/fr/japan-data/h00526/]


Article rédigé par Anaëlle Herrewyn, archiviste des Soeurs de l'Enfant Jésus - Nicolas Barré