Zoom sur un document - Paris sous les bombes : la vie à la maison-mère de mars à août 1918

« Journée des plus sinistres. À 9 h du matin la sirène se faisait entendre. C’était jour de confession. Monsieur Garriguet, confesseur de la [communauté] fut invité à descendre à la cave avec nous […] Ce n’était plus le même genre de danger, seulement toutes les vingt minutes ou toutes des demi-heures une détonation annonçait qu’une bombe venait de tomber. Le bruit de nos canons de défense n’y répondait plus… On apprit ensuite que Paris était bombardé par un canon à longue portée. Il y eut hélas victimes et dégâts spécialement dans les alentours des gares du Nord et de l’Est visées par l’ennemi. […] À 4 h du soir seulement le signal annonçait la fin du danger » (23 mars 1918 (annales de la maison-mère), archives des Sœurs de l’EJNB, 1 M 41-40)

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Eclats d'obus récoltés près de la maison-mère en juin 1918 (archives des Soeurs de l'EJNB)

La vie entre Bertha…

Du 23 mars au 9 août 1918, Paris est victime des tirs de la « Grosse Bertha », aussi appelé Paris Kanonen (canons de Paris). Ce surnom désigne les canons à longue portée à l’aide desquels l’armée allemande a lancé 320 obus sur la capitale en l’espace de 44 jours. Dissimulés dans la région de Crépy-en-Laonnois, les Bertha (du nom de Bertha Krupp, dirigeante de la firme du même nom ayant construit ces canons), lancent des bombes quasi-quotidiennement à une distance de 120 km, causant la mort de 256 personnes, et en blessant 625 autres. Les Parisiens vivent dans la peur durant ces mois de bombardements.

Si la maison-mère des Sœurs de l’EJNB, située rue Saint-Maur (actuelle rue de l’abbé Grégoire), n’est pas directement touchée par les obus, des bombes tombent aux alentours (rue du Bac et boulevard Saint-Germain, par exemple). Les religieuses sont obligées de rester confinées dans une cave lorsque l’alerte est donnée. Les annales de la maison-mère, rédigées presque chaque jour par la communauté, témoignent de l’angoisse ressentie face à ce quotidien rythmé par les bombardements (voir le document numérisé et transcrit plus bas).

« On s’habitue à cette horrible vie » (24 mars 1918 (annales de la maison-mère), archives des Sœurs de l’EJNB, 1 M 41-40) 

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Eclat d'obus lancé par Bertha (archives des Soeurs de l'EJNB)

Le bombardement de l’église Saint-Gervais (IVe arrondissement) est particulièrement marquant dans l’histoire des Paris Kanonen. Alors que 600 personnes assistent à la messe du Vendredi Saint, un pilier de l’édifice est touché par un obus. On compte 91 morts et 88 blessés.

« Dans la soirée bombardement. Un obus est tombé sur l’église Saint-Gervais pendant l’office de Ténèbres. Nombreux morts et nombreux blessés. Quel crime de troubler ainsi, et de chercher à tuer [pour] le plaisir de tuer un Vendredi saint et à 3 h !!! » (29 mars 1918 (annales de la maison-mère), archives des Sœurs de l’EJNB, 1 M 41-40)

…et Gotha


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Eclats d'obus lancé par Gotha (archives des Soeurs de l'EJNB)

À ces tirs à longue portée s’ajoutent les bombardements aériens par les avions surnommés Gotha. Les Sœurs sont épargnées d’un point de vue matériel. Face à ces événements, la plupart des religieuses résidant à la capitale sont envoyées dans les implantations du Sud de la France (Montauban, Nîmes, Toulouse, Marseille).

Soucieuses de préserver la mémoire des épreuves qu’elles vivent, les Sœurs récoltent des morceaux d’obus lancés par les Bertha et Gotha. Ces pièces sont encore aujourd’hui conservées aux archives de la congrégation.

« Encore un raid ; et le canon a tonné très fort à cause d’un avion allemand qui a franchi nos lignes et qui est venu justement de notre côté ; si bien qu’on a pu relever dans la rue des éclats d’obus et que nous en avons trouvé plusieurs dans le jardin. Nous les conserverons pour mettre dans notre musée ! » (6 juin 1918 (annales de la maison-mère), archives des Sœurs de l’EJNB, 1 M 41-40)


Un document : les annales de la maison-mère (23 mars-13 août 1918, 1 M 41-40)
 

Transcription commentée ci-dessous :

Bibliographie  

DUTRÔNE (Christophe), Feu sur Paris ! L’histoire vraie de la Grosse Bertha, Paris, éd. Pierre de Taillac, 2012, 207 p.

PRIOR (Robin), WILSON (Trevor), Atlas des guerres. La Première Guerre mondiale (1914-1918), Paris, éditions Autrement, 2001, 224 p.


Article rédigé par Emilie Papaix, archiviste des Soeurs de l'Enfant Jésus - Nicolas Barré